QUéBEC CITY (CANADA)
Présence [Montreal, Canada]
May 21, 2024
By François Gloutnay
Allégations contre le cardinal Lacroix
Au terme de trois mois d’enquête, le juge à la retraite André Denis révèle qu’il n’a jamais pu obtenir le témoignage de la femme qui a déclaré avoir été agressée il y a 35 ans par le cardinal Gérald Lacroix.
«Sa déclaration est anonyme et elle refuse de collaborer à mon enquête», écrit le juge québécois dans le rapport de 66 pages qu’il a remis au pape François le 6 mai 2024.
«Elle en a le droit et elle doit être traitée avec respect, empathie et accueil comme on doit le faire avec toute personne humaine.»
Mais ce refus a «grandement affecté» l’enquête que lui a commandé le pape le 8 février 2024.
«Si je ne peux affirmer que sa dénonciation est infondée, je ne peux certes pas l’avaliser sur la foi des faits révélés par mon enquête», ajoute le juge retraité de la Cour supérieure du Québec dans la conclusion de son rapport.
«Je suis incapable de dire si l’acte reproché a eu lieu ou non. Je suis même incapable d’identifier un lieu, un événement, une date précise ou une quelconque circonstance. Le refus de la demanderesse de collaborer au moindre degré à mon enquête me laisse démuni», a-t-il confié au pape.
Le juge Denis craint que la dénonciation ne demeure anonyme «pour toujours» et regrette que le cardinal Lacroix pourrait ne «jamais savoir qui l’a accusé» ou encore «les faits qu’on lui reproche».
Déroulement de l’enquête
Chargé de mener cette enquête sur les allégations formulées contre le cardinal Lacroix, le juge André Denis a expliqué, en conférence de presse ce mardi 21 mai, avoir d’abord vérifié le contenu des archives de l’Institut séculier Pie X – dont est membre le cardinal – et celles de l’archidiocèse de Québec.
«Rien dans les archives ne fait allusion à quelque incident du genre à l’encontre du [cardinal] Lacroix ni en 1987 et 1988 ni avant ni après. Son dossier est sans reproche.»
Il ajoute que «tous ceux et celles qui ont été en relation avec Gérald Lacroix en 1987 et 1988 ne croient pas que ce dernier a commis les gestes qu’on lui reproche. La même conclusion s’impose chez les nombreux témoins rencontrés pour ce qui est de l’ensemble de la carrière pastorale du cardinal Lacroix depuis qu’il est à Québec.»
L’enquêteur nommé par le pape a ensuite rencontré le cardinal Lacroix «pour connaître sa version des faits qui lui sont reprochés».
Il l’a longuement questionné, dit-il. Le cardinal lui a affirmé «avec conviction qu’il n’avait jamais posé les gestes que la demanderesse lui reprochait. Ni avec elle, ni avec aucune autre personne. Ni en 1987-1988, ni jamais avant ou après».
Le juge écrit que «jamais [le cardinal] n’aurait pu vivre avec un tel secret, ni accepter les fonctions qu’il occupe avec un tel poids sur la conscience.
«Jamais il n’aurait pu faire cela à l’Église qui est toute sa vie.»
Refus répétés de la victime
Dès le 20 février, les avocats des victimes au cœur de l’action collective contre l’archidiocèse de Québec ont indiqué au juge Denis que leur «cliente ne désire pas participer à votre enquête».
«J’ai tenté à plusieurs reprises de convaincre la demanderesse de m’aider à compléter mon mandat. Sans succès. J’ai demandé à tout le moins qu’elle m’indique une date, un lieu, un détail pertinent à sa plainte. Elle a refusé. J’ai demandé d’avoir accès à la déclaration caviardée que chaque demandeur ou demanderesse doit déposer à la cour pour expliquer les circonstances de l’agression dont il ou elle se dit victime. Elle a refusé», déplore-t-il dans son résumé de 10 pages qu’il a remis à la presse ce matin.
C’est après ces refus répétés que le juge a décidé de rendre publique la demande d’enquête qu’il avait obtenue du pape François. (Voir l’article exclusif de Présence sur ce mandat.)
Conclusion
«La preuve que j’ai rassemblée au cours de ma longue enquête montre que [le cardinal] Gérald Lacroix n’a jamais fait montre de quelque familiarité, geste déplacé ou allusion de nature sexuelle ni en 1987 et 1988 ni à quelque période de sa vie comme membre de l’Église de Québec depuis qu’il y est présent», écrit le juge André Denis dans son rapport.
«Les éléments recueillis au cours de mon enquête rendent peu plausible que les faits reprochés au cardinal se soient produits.»
Le juge québécois indique que son enquête n’apporte pas «d’éléments suffisants pour justifier la tenue d’un procès canonique à l’encontre du cardinal Lacroix et c’est la conclusion que j’ai formulée au pape François».
Ce matin, en annonçant la conférence de presse du juge retraité André Denis, la Salle de presse du Vatican a déclaré que le pape a entériné cette conclusion.
«À la lumière des faits examinés par le juge, le rapport ne permet pas d’identifier des actions qui relèvent d’une inconduite ou d’un abus de la part du cardinal Gérald C. Lacroix. Par conséquent, aucune autre procédure canonique n’est prévue», indique le communiqué officiel.
L’archidiocèse de Québec a précisé, avant la conférence de presse du juge Denis, que «l’équipe diocésaine et le cardinal Lacroix réagiront ultérieurement» au contenu de ce rapport.