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Abus sexuels : la parole se libère lentement

By Marie Malzac
La Croix
June 7, 2016

http://www.la-croix.com/Religion/France/Abus-sexuels-la-parole-se-libere-lentement-2016-06-06-1200766714

La médiatisation des récentes affaires peut aider certaines victimes d’abus sexuels à se « libérer ».

[Victims of sexual abuse in the French Catholic Church are beginning to speak out.]

Depuis la médiatisation des abus sexuels commis par des prêtres dans le diocèse de Lyon, un lent processus de libération de la parole des victimes s’est mis en route. Dans l’Église mais aussi plus largement.

Les révélations d’abus sexuels commis par des prêtres dans le diocèse de Lyon ont réveillé des souvenirs que Luc (1) pensait dépassés depuis longtemps. « Je me rends compte que je suis resté dans le déni pendant des années », reconnaît aujourd’hui ce quinquagénaire, marié et père de famille.

Vingt-cinq ans plus tôt, alors qu’il traversait une période délicate et s’interrogeait sur sa sexualité, il s’en était ouvert à un ami prêtre. « Un jour que je l’avais invité à dîner, il m’a fait des avances explicites. Cet événement a ressurgi dans ma mémoire à la faveur des récentes révélations », confie-t-il à La Croix. Il reconnaît avoir « sous-estimé à quel point cette histoire l’avait perturbé ».

Après plusieurs semaines de réflexion et de nombreuses hésitations, Luc a décidé de demander un rendez-vous à l’évêque du diocèse où exerce désormais le prêtre en question, et qui occupe aujourd’hui un poste haut placé. « Il s’est montré empathique et accueillant… Cela m’a fait du bien », assure Luc qui espérait « être entendu, d’abord et surtout ».

Sur le forum et sur le blog de l’association

Comme lui, plusieurs victimes ont récemment fait la démarche de parler, parfois pour la première fois, d’abus ou de tentatives subis des années auparavant. À l’origine de ce processus se trouve l’association « La parole libérée », composée d’anciens scouts lyonnais qui ont décidé de s’unir pour dénoncer les agissements de leur aumônier de l’époque (1978-1991), le P. Preynat, ainsi que la gestion de ce cas par la hiérarchie ecclésiastique (2).

Les témoignages se sont multipliés ces derniers mois sur le forum et sur le blog de l’association. Si bien que Franck Favre, le webmaster du site, a développé un nouvel outil, « Match », pour aider à la recherche de « co-abusés ». Selon un système simple, il suffit de déposer un signalement, saisi dès réception dans une base de données confidentielle. S’il y a correspondance avec un autre signalement, l’internaute reçoit une notification et peut ensuite, s’il le désire, entrer en contact avec l’autre victime.

Depuis la mise en place de « Match », il y a une dizaine de jours, Franck Favre affirme avoir d’ores et déjà reçu près de 35 messages. « La confidentialité totale et la conscience de ne plus être seuls poussent les victimes à parler et à éventuellement amorcer une discussion qui peut les aider », explique-t-il.

Cellule d’écoute

Au niveau des diocèses, le processus est plus lent et se met en route là où des structures dédiées sont déjà en place. À Orléans, où une cellule d’écoute a été créée en 2014, une autre association a vu le jour, « Notre parole aussi libérée ». Elle réunit les victimes d’un prêtre accusé d’attouchements lors d’un camp du Mouvement eucharistique des jeunes, en 1993. À Montpellier, la toute nouvelle cellule a déjà reçu sept appels.

À l’échelle nationale, plusieurs signalements sont parvenus à l’adresse mise en place par la Conférence des évêques de France en avril, dont une dizaine pour Paris. Les responsables sont formels : la plupart des dénonciations concernent des faits « très anciens », pour lesquels « le prêtre accusé est mort ». Mais ils reconnaissent l’existence de certains cas « en suspens », difficiles à évaluer.

Pour Alexandre Dussot, membre de « La parole libérée », les « conditions de la confiance, trop entamée, ne sont pas encore réunies partout » pour que les victimes se sentent libres de confier leur souffrance au diocèse concerné. Toutefois, ceux qui parlent le font souvent pour « protéger d’éventuelles autres victimes ».

Abus sexuels intrafamiliaux soumis à la loi du silence

Cette libération de la parole dépasse la seule sphère de l’Église. « Nous avons récemment reçu de nombreux témoignages d’adultes ayant subi dans leur enfance des attouchements ou des agressions sexuelles au sein d’autres institutions ou organismes, comme l’école ou les centres sportifs », constate Martine Brousse, présidente de l’association « La Voix de l’enfant ». « Depuis mars, mon comité dédié aux anciennes victimes voit arriver de nouvelles personnes venues poser leur paquet », observe également Christiane Ruel, porte-parole d’« Enfance et Partage ».

Ce n’est toutefois pas le cas de toutes les victimes. « La médiatisation de ces affaires peut aider certains à se ‘‘libérer’’, mais elle peut en inquiéter d’autres qui ne souhaitent pas apparaître sur la place publique », nuance Violaine Blain, directrice du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger (Snated).

Les abus sexuels intrafamiliaux continuent par ailleurs à être soumis à la loi du silence. Tabous, secrets de famille : selon Martine Brousse, « leur révélation (même tardive) est encore perçue » comme une « trahison », trop lourde d’enjeux.

Quant aux enfants, leur parole est beaucoup plus difficile à libérer. « Ils vont parfois laisser échapper quelque chose, mais si la personne en face ne réagit pas, ils vont se taire pour très longtemps », insiste Christiane Ruel.

Ainsi, le Snated (3) n’a pas enregistré de recrudescence de signalements à ce sujet. Comme d’autres spécialistes, Violaine Blain pense que « ces affaires-là auront peut-être un impact plus tard ».

Effet dissuasif

« On est en train de soulever un couvercle. Mais cela prendra du temps », estime Christiane Ruel, qui compte davantage, elle aussi, sur les effets à long terme de leur médiatisation. Elle va peut-être ouvrir les yeux et les oreilles des adultes. Les professionnels de l’enfance, les infirmières scolaires et les parents seront sans doute plus vigilants face à un changement de comportement de l’enfant.

Ces révélations pourraient aussi avoir un effet dissuasif sur les auteurs potentiels de ces abus. Sachant qu’ils pourraient être dévoilés un jour, ils hésiteront davantage à passer à l’acte ou demanderont plus facilement de l’aide… « Plus on libère la parole, plus on fait œuvre de prévention, résume Martine Brousse. Car tant qu’on n’en parle pas, l’auteur a le sentiment de vivre dans l’impunité. »

Ces affaires ont également permis, selon elle, de « donner un coup d’accélérateur politique à des lois et des décrets qui sont passés en quelques jours », alors que les associations les réclamaient depuis longtemps. Comme la transmission systématique des dossiers «  relatifs aux faits de mœurs sur mineur » vers l’éducation nationale, dès que l’un de ses personnels est mis en cause. Pour Martine Brousse, « tout un mouvement s’est mis en route ».




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