BishopAccountability.org

Pédophilie : Alain Christnacht veut « zéro récidive »

La Croix
June 05, 2016

http://www.la-croix.com/Religion/France/Pedophilie-Alain-Christnacht-veut-zero-recidive-2016-06-05-1200766485


[Alain Christnacht, who heads an independent commission studying pedophilia in the Catholic Church of France, said there must be zero tolerance of abuse.]

Président de la mission de la commission nationale d’expertise indépendante sur la pédophilie mise en place par la Conférence des évêques de France, Alain Christnacht explique la mission de cette instance, dont La Croix dévoile la composition en exclusivité.

La Croix : Quel sera le rôle de la commission que vous avez composée ?

Alain Christnacht : Disons d’emblée ce que nous ne ferons pas : nous ne conseillerons pas aux évêques de saisir la justice ou non. C’est de leur responsabilité. Notre mission, bénévole et confidentielle, consiste à rendre des avis uniquement à ceux qui nous le demanderont, avis qu’ils seront libres de suivre ou non.

Nous avons identifié à ce stade trois types de cas pour lesquels un évêque pourra nous solliciter : lorsque la justice est saisie mais ne prend pas de mesure coercitive (pas de mesure provisoire ou de contrôle judiciaire) ; lorsqu’elle s’est prononcée par un non-lieu pour des motifs de procédure ou par une peine avec sursis ; enfin, en cas de prescription.

Dans l’un ou l’autre de ces cas de figure, faut-il laisser le prêtre en poste comme aumônier de jeunes ? Le muter dans un autre ministère, sans contact avec des mineurs ? Le suspendre de ses fonctions temporairement ?

> Lire aussi : Un évêque pourra être révoqué en cas de « négligence » dans sa gestion d’affaires pédophiles

Dans certaines configurations, il ne pourra vaincre ses pulsions. Le seul combat moral ne suffira pas. La commission pourra éclairer les évêques sur la typologie des auteurs et des actes, afin de les aider à s’y retrouver en matière de pédophilie (ou d’éphébophilie).

Il y a des degrés différents, non seulement dans la gravité pénale et morale, mais aussi dans le risque de récidive. Et il est nécessaire d’avoir du recul et une analyse objective sur ces faits complexes.

Travaillerez-vous uniquement sur dossiers ?

Alain Christnacht : A priori oui. Nous ne rencontrerons pas les victimes ni les associations, sauf si celles-ci le demandent pour apporter un point de vue général. Contrairement à ce que certains ont imaginé, nous n’allons pas non plus mener de perquisitions dans les diocèses à la recherche de dossiers qui seraient cachés…

Nous travaillerons uniquement à partir des documents que l’évêque nous présentera. Évidemment, si un évêque nous saisit, il devra nous fournir le maximum d’informations, sans quoi nous ne pourrons rendre un avis éclairé.

Nous examinerons des cas individuels mais lorsque nous en aurons étudié un certain nombre, je pense que nous pourrons dégager des lignes générales.

Le cardinal Barbarin dit avoir demandé, lorsqu’il a pris connaissance des agissements passés du P. Preynat, en 2007 ou 2008, l’avis d’un psychiatre avant de prendre la décision de laisser le prêtre en poste. En consultant sur dossier, vous pourriez vous retrouver dans la même situation…

Alain Christnacht : Effectivement, c’est toute la difficulté de notre mission : nous devrons rendre un avis sur des faits et sur une personnalité sans être juges d’instruction, psychologues ou psychiatres.

Il va nous falloir éprouver le mouvement en marchant et définir une méthodologie, ni dans l’inquisition ni non plus dans une prise de décision insuffisamment informée. L’intérêt de la composition pluridisciplinaire de cette commission, c’est précisément de pouvoir discuter entre spécialistes des informations dont nous avons besoin.

> Lire aussi : Comment soigner la pédophilie ?

Nous pourrons demander à un évêque s’il s’est renseigné sur d’éventuels autres cas depuis les faits, ou lui répondre qu’avec les renseignements qu’il nous fournit nous ne sommes pas en mesure de rendre d’avis éclairé.

Sentez-vous les évêques prêts à être conseillés et à abandonner une part de leur liberté ?

Alain Christnacht : Quand on est conseillé, on n’abandonne pas sa liberté, au contraire, on est censé mieux l’exercer ! Oui, je pense que la plupart sont prêts et y trouveront intérêt pour exercer leur responsabilité, qui est lourde. Nous avons d’ailleurs déjà des dossiers en attente.

Certains diocèses, comme Paris ou Lyon, ont créé des commissions locales, qu’ils solliciteront en priorité. Sachant que plus on est proche du dossier, mieux on peut le connaître. Mais que plus on est loin, plus on est indépendant…

Que faire dans le cas des zones grises, entre rumeurs et faits avérés ?

Alain Christnacht : Saisir la justice restera de la compétence de l’évêque. Il doit le faire s’il a des soupçons suffisants. Notre commission se situe non pas sur le plan de la sanction, mais sur celle de la prévention. Nous aurons essentiellement à traiter des affaires anciennes et à évaluer le risque de récidive.

Ne faut-il pas renvoyer de l’état clérical tous les prêtres coupables d’abus sexuels ?

Alain Christnacht : On ne peut être aussi systématique, il me semble. Or, dans l’opinion, souvent excessive, à partir du moment où il y a soupçon, il y a condamnation et il faut chasser le prêtre de l’Église. C’est un peu sommaire, et dans certains cas ce serait injuste.

Il faut tenir compte de la décision de justice et, lorsqu’elle n’a pu se prononcer, des faits. Pour notre part, nous allons essayer d’établir des distinctions, prendre en compte une échelle de gravité à partir des éléments dont nous disposerons : la durée, la gravité des faits, le rapport d’âge entre le prêtre et la victime.

L’éducation nationale, par définition, n’a à proposer que des postes au contact des enfants ou des adolescents. En cas de fait avéré, elle suspend puis révoque. Dans le cas de l’Église, il y a d’autres possibilités, tous les prêtres ne s’occupent pas au quotidien de jeunes.

Mais l’objectif, c’est zéro récidive et la protection absolue des mineurs. La commission délibérera collectivement de chaque cas, en conscience et avec cet objectif.

-----------------------

Une commission de sept membres et un canoniste

Outre Alain Christnacht, conseiller d’État honoraire qui la présidera, la commission aura pour membres :

• Trois spécialistes de la protection de l’enfance : Annick Feltz, ancienne directrice du département « protection des personnes » auprès du défenseur des droits Jacques Toubon, qui s’apprête à quitter la magistrature pour suivre notamment une formation à l’Institut catholique de Paris sur la médiation ; Martine de Maximy, psychologue et psychothérapeute ; Marie Derain, conseillère au cabinet de Laurence Rossignol, et ancienne défenseure des enfants auprès du défenseur des droits (Dominique Baudis), après avoir été directrice de service à la Protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice).

• Deux médecins : Bertrand Galichon, président du Centre catholique des médecins français, et Bernard Granger, psychiatre, professeur des universités.

• Cette liste sera complétée par une mère de famille qui reste à choisir.

• La commission sera en lien avec un canoniste, le P. Ludovic Danto, doyen à l’Université
catholique de l’Ouest, a donné un accord de principe.




.


Any original material on these pages is copyright © BishopAccountability.org 2004. Reproduce freely with attribution.