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  Rodez. Ouverture Du Proces De Frere Albert, Soupconne D'attouchements Sexuels

The Ladepeche
November 28, 2011

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Rodez. Ouverture du proces de frere Albert, prevenu d'attouchements sexuels

Mercredi s'ouvre devant le tribunal correctionnel de Rodez le proces du frere Pierre-Etienne Albert, un religieux de la communaute des Beatitudes, prevenu d'attouchements sexuels sur neuf personnes.

Onze ans apres le retentissant proces de l'abbe Maurel, la justice aveyronnaise est confrontee, mercredi, a un nouveau proces d'actes pedophiles. A la barre du tribunal correctionnel de Rodez va, en effet, comparaitre le frere Pierre-Etienne Albert, un religieux, aujourd'hui age de 60 ans, qui a reconnu des attouchements sur une cinquantaine d'enfants et qui va se retrouver face a neuf de ses victimes.

Dysfonctionnements

Mais derriere l'examen des faits proprement dits, le proces, qui doit durer deux jours, va aussi tenter de comprendre les dysfonctionnements apparus dans l'appareil judiciaire ; et va mettre en lumiere le fonctionnement singulier de la communaute des Beatitudes.

Les dysfonctionnements ? Ce sont ceux denonces avec force par Solweig Ely. Aujourd'hui agee de 31 ans, cette jeune femme vient de publier un livre, « Le silence et la honte », pour raconter l'enfer qu'elle a vecue enfant, en 1989 (lire ci-contre). La jeune femme et son conseil, Me Mazars, esperent que le proces permettra de comprendre pourquoi les faits qu'elle a denonces en 2001 n'ont pas ete pris en consideration par la justice a la mesure de leur gravite.

Chape de plomb

Le proces devra egalement etablir comment une chape de plomb protectrice a couvert durant des annees les comportements pedophiles du frere Pierre-Etienne Albert, dont beaucoup sont prescrits aujourd'hui. Entre 1985 et 2000, le religieux, tres charismatique au sein de la communaute et proche du fondateur Ephraim - qui est cite comme temoin - a avoue des attouchements, des caresses, des baisers sur une cinquantaine d'enfants de 5 a 14 ans, qui vivaient dans les « maisons » de la communaute installees partout en France. « Pourquoi certains ont su et n'ont rien fait », interroge Solweig Ely.

Attitude de l'Eglise

Le tribunal va devoir decortiquer le fonctionnement de la communaute, sur lequel la Mission interministerielle de vigilance et de lutte contre les derives sectaires (Miviludes) s'est deja penchee en 2009. L'attitude de l'Eglise de France pose egalement question. Le 22 novembre dernier, le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM), qui lutte contre les derives sectaires, a adresse une lettre ouverte a Mgr Herouard, secretaire general de la Conference des eveques de France. Le Centre deplore que « certains responsables ecclesiastiques » aient attache, selon lui, « beaucoup plus d'importance au renouveau de l'image de marque d'une communaute fortement decriee, qu'au sort des victimes. »

Il est vrai qu'aujourd'hui, la communaute, dont le siege est a Blagnac, assure etre en pleine restructuration, sous la houlette du Vatican. A l'instar d'autres mouvements traditionalistes reconnus ces dernieres annees par le pape, elle espere etre bientot consacree par Benoit XVI comme un nouvel ordre religieux.

Solweig Ely, l'une des victimes, auteur du livre "Le silence et la honte" aux editions Michel Lafon

"Qu'on me reconnaisse comme victime"

Comment vous etes-vous retrouvee dans cette communaute, a l'age de 9 ans, en 1989 ?

C'etait le cheminement de mes parents. Pendant quelques annees, on a ete amenes a frequenter la communaute pour des fetes du type shabbat, pour la resurrection, etc. Puis un jour, mes parents nous ont annonce qu'on allait entrer dans la communaute, a l'abbaye blanche, a Mortain dans la Manche.

Quel souvenir gardez-vous de la vie dans la communaute ?

La vie quotidienne etait assez rythmee pour les enfants. On ne voyait quasiment pas nos parents. On passait tout notre temps en dehors du temps scolaire avec les autres enfants dans ce qu'on appelait « la garde », la garderie. En dehors des heures scolaires, des freres et s?urs de la communaute s'occupaient a tour de role de garder les enfants. On voyait nos parents de 19 a 20 heures, lors de l'heure familiale, et au coucher. Puis nos parents repartaient pour manger entre communautaires. Ils avaient leur rythme de vie, on avait le notre.

Quand avez-vous rencontre le frere Pierre-Etienne Albert ?

Pierre-Etienne est arrive quelques semaines apres notre arrivee, vers octobre-novembre 1989. Il etait attendu impatiemment, car il avait une place importante de chantre dans la communaute. C'etait un tres grand musicien, le protege d'Ephraim, celui qui a fonde la communaute. Quand Pierre-Etienne est arrive, c'etait une tres grande joie. Dans un premier temps Pierre-Etienne s'est enormement rapproche de ma famille. Il etait present a tous nos moments familiaux. Il appelait mes parents « papa et maman » ; il s'etait impose et integre a la famille… Il a commence a venir me voir pendant le repas des adultes, apres 20 heures, quand j'etais toute seule dans ma chambre.

Pendant les premieres visites, il venait me parler de l'amour de Dieu… « aimez-vous les uns les autres »… Ce genre de discours. Tout cela a amene des gestes de plus en plus… C'est pas facile a expliquer…

Vos parents ne se sont apercus de rien ?

Absolument rien. Je n'ai rien dit a mes parents parce que des evenements ont fait que je n'etais pas en situation de leur parler.

En 2001, alors que vous aviez quitte la communaute, vous avez porte plainte et rompu le silence.

Je n'ai pas rompu le silence. C'est un concours de circonstances. En 2001, j'etais dans une periode difficile, j'etais perdue. Je savais qu'a 21 ans j'avais le droit de recuperer mon dossier de la DDASS. En allant le recuperer, le directeur de l'aide sociale a l'enfance qui m'avait eu en charge a souhaite me parler car il etait convaincu qu'il y avait une histoire d'inceste avec mon pere. J'ai alors fini par lui dire exactement ce qui c'etait passe. Il m'a dit qu'il allait faire un signalement. 48 heures plus tard, la brigade de recherches d'Avranches m'a appele pour m'auditionner.

Vos parents ont tres mal reagi ?

Mon pere a ete entendu avant Pierre-Etienne, ce que j'ai du mal a comprendre. Pierre-Etienne a ete entendu en 2002 en tant que temoin assiste. La justice me donnera peut-etre des reponses. dans sa deposition mon pere me traite de manipulatrice, de menteuse, de quelqu'un de malade.

En 2008, le passage aux aveux de Pierre-Etienne a ete pour vous un soulagement ?

Pour moi jusqu'a il y a un an, lorsque j'ai eu la procedure entre les mains, n'ayant jamais eu de nouvelles de ma deposition, je m'etais dit « une fois de plus on m'a pris pour une menteuse. » J'ai decouvert que Pierre-Etienne avait avoue, qu'il avait donne d'autres noms. J'ai decouvert que le procureur avait tout simplement mis le dossier dans un tiroir. J'ai appris ses aveux par les medias, ca a ete assez difficile…

Vous serez a Rodez pour le proces. Qu'en attendez-vous ?

C'est tres egoiste et tres personnel, j'attends d'entendre la justice dire que je suis victime et pas coupable. Pour le reste, Pierre-Etienne est quelqu'un de malade. S'il me demande pardon, je ne suis pas sure que ce soit quelque chose de sincere. Le pardon, il est donne, que c e soit aux gens qui ne m'ont pas aidee ou a Pierre-Etienne parce que j'ai juste besoin de me reconstruire. Et on ne se reconstruit pas avec des sentiments de haine et de vengeance. J'ai besoin de m'entendre dire que je suis victime pour pouvoir passer a autre chose.

Propos recueillis Ph. R.

reportage

Bonnecombe : le long cheminement vers les aveux

Tout commence par un cauchemar. Celui de Murielle Gauthier, fraichement arrivee a l'abbaye de Bonnecombe, a Comps-la-Grandville (Aveyron), pour y integrer la communaute de fideles des Beatitudes. Ce soir de novembre 2000, cette mere de famille, victime de pedophilie dans sa jeunesse, reve que « Pierre-Etienne est nu et qu'il y a des enfants enchaines ». Le songe la hante. Elle s'en veut. Se convainc qu'elle est « jalouse » parce que ce frere, chantre de la communaute ayant integre l'abbaye depuis deux ans « a plus de droits » qu'elle. Ou alors que « ce sont des reminiscences de mon passe ». Elle finit par en parler avec l'interesse le mois suivant.

« Avez-vous un probleme avec les enfants ? », interroge Murielle. « Oui » est le seul mot qu'elle obtient de Pierre-Etienne qui « s'ecroule dans le fauteuil et devient tout blanc ». La jeune femme rapporte directement ce probleme non nomme a la mere de la famille qui habite en face et qui a des enfants et s'entend dire : « Oui je sais mais l'aspect familial l'aide a guerir. » « A partir de ce moment-la, ou il etait, je le suivais, raconte Murielle sans ciller. J'etais comme un rappel, un bracelet electronique. » Elle affirme, en outre, avoir prevenu la hierarchie des Beatitudes a plusieurs reprises. Seule reponse: elle est «mise en isolement» durant un an...

Frere Pierre-Etienne n'avouera avoir commis des attouchements sur des enfants de la communaute, que trois ans plus tard, lorsqu'il est convoque a Avranches (Manche) pour repondre aux accusations d'une jeune fille. Une premiere liste de 15 noms de victimes dans differentes « maisons » des Beatitudes, est dressee par le frere. « Il tombe a genoux pour que je l'aide », poursuit Murielle qui l'avait accompagne. Elle accepte a condition qu'il voit un psychiatre et un psychologue. Et elle poursuit son role de « chaperon ».

En 2007, le tapage mediatique sur les derives sectaires des Beatitudes, rend Pierre-Etienne « nerveux ». Murielle lui donne un cahier pour qu'il avoue tout. Une soixantaine de victimes apparaissent sous sa plume. Mais il n'ose pas se denoncer a la justice. Murielle le fait a sa place. Le 20 aout elle ecrit au procureur d'Albi, initiant une procedure judiciaire qui a conduit au proces de cette semaine.

Julie Polizzi

expert : Odon Vallet, historien des religions

"L'Eglise manque de discernement"

Pourquoi les « communautes nouvelles » telles que les Beatitudes sont-elles apparues ? Le fait est que ces communautes nouvelles ont connu un succes certain contrastant avec le declin numerique des communautes traditionnelles, depuis les annees 1970. L'Eglise catholique les a encouragees car elles constituaient un reservoir de vocations devenues rares.

Pourquoi les anciens adeptes evoquent-ils une secte, au sujet des Beatitudes ? La communaute s'est installee dans un ancien couvent de Capucins a Cordes-sur-Ciel, dans le Tarn. Les habitants ont commence a parler de secte car elle ne cadrait pas avec les communautes habituelles de celibataires. Il y avait des hommes, des femmes, des enfants, des familles entieres. Plusieurs problemes se sont poses. Tout d'abord celui de la chastete. Ensuite, la pauvrete : pas facile de distinguer le patrimoine familial de celui de la communaute, avec des risques de spoliation. Et comment peut-on faire vivre sa famille et la communaute de son travail ? Le travail doit-il etre benevole ou remunere ? Ce sont de redoutables questions au regard du droit du travail. Enfin se pose la question de l'obeissance. Les enfants doivent-ils obeir aux parents ou au chef de la communaute ? Se sont egalement poses des problemes aigus d'autorite spirituelle. Comme un directeur de seminaire ne peut confesser ses seminaristes, un chef de communaute doit faire le distinguo entre ce qui ressort du for interne et du for externe des membres de la communaute. Or ce n'etait pas le cas.

Va-t-on vers une reconnaissance de ces « communautes nouvelles » ? Ces communautes ont des statuts canoniques variables, et aucun statut unique ne saurait leur correspondre a toutes. Elles vivent des problemes de rodage. Face au declin des vocations, l'Eglise les accepte imprudemment. Il aurait ete preferable de faire preuve de plus de discernement.

Propos recueillis par Jerome Mangeney

Les excuses de la communaute

Pour repondre aux deux documentaires televises, sur France 3 et sur Canal + ; au livre de Solweig Ely, et a la veille du proces de Rodez, la communaute des Beatitudes a publie un long communique le 15 novembre faisant part de sa volonte « d'aller plus avant dans la demarche de repentance et de purification de sa memoire. » Actuellement en pleine « restructuration » spirituelle et structurelle imposee par le Vatican, la communaute indique qu'elle « entend assumer toutes ses responsabilites devant l'etalage public de ces delits. »

Concernant Pierre-Etienne Albert, la communaute indique « reconnaitre des aujourd'hui, avec grande souffrance, que des actes tres graves ont ete commis, par lesquels de jeunes enfants et adolescents ont ete irremediablement blesses au plus profond de leur personne. Elle tient a exprimer aux victimes et a leur famille sa douleur, son regret, sa honte devant de tels abus commis par celui qui etait alors l'un des siens. » Les Beatitudes veulent egalement qu'on tienne compte de leur evolution.

« La communaute deplore les amalgames simplistes et errones qui ne tiennent aucun compte de son evolution recente realisee sous la conduite de l'Eglise. Elle denonce les accusations mensongeres et diffamatoires portees contre elle, en particulier lorsqu'elle se voit traitee de secte. » Ph. R.

Il y a 11 ans, l'affaire de l'abbe Maurel

Il y a onze ans, l'Aveyron se passionnait - et se dechirait - autour d'un proces pour pedophilie a fort retentissement national, celui de l'abbe Maurel. L'emblematique directeur du college prive Saint-Pierre de Mur-de-Barrez, un gros bourg a l'extremite nord du departement, comparaissait alors devant la cour d'assises de l'Aveyron, au terme de quatre annees de procedures marquees par d'innombrables rebondissements. Tout commence en juin 1996, lorsque des habitants du village recoivent un courrier anonyme dans lequel l'auteur affirme qu'il a subi des attouchements sexuels de la part de Jean-Lucien Maurel, un homme alors tres respecte. Deux clans se forment et divisent le village. Un « comite de defense » au sein duquel siege Roland Agret - victime d'une terrible erreur judiciaire dans les annees 1970 - prend la defense de l'abbe. Suspendu de ses fonctions par l'eveque de Rodez, ce dernier crie au complot. De l'autre cote, des parents sont persuades de la culpabilite du pretre et brisent le mur du silence. D'anciens elevent apportent alors des temoignages. Bien que prescrits, les faits sont accablants. Jean-Lucien Maurel est ecroue pour viols et place en detention provisoire a la maison d'arret de Rodez en mars 1997. Il sera remis en liberte fin 1998 pour raisons de sante. Son proces s'ouvre en fevrier 2000 dans une salle d'audience inedite, une bergerie aux portes de Rodez, le tribunal etant en travaux. Dans une ambiance etouffante va se succeder une centaine de temoins. Rythme par les huis clos et les plaidoiries de tenors du barreau - Me Collard pour la defense, Me Chevais pour les enfants - le proces s'acheve par la condamnation de l'abbe a dix ans de reclusion criminelle.

Ph. R.

 
 

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