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  L’incroyable Saga De Marcial Maciel, Le Padre Qui Bernait Les Papes

By Jean Mercier
La Vie
May 11, 2010

http://www.lavie.fr//hebdo/2010/3376/l-incroyable-saga-de-marcial-maciel-le-padre-qui-bernait-les-papes-11-05-2010-6304_127.php

Marcial Maciel avait pour regle d'or de s'attirer l'amitie des papes. Ici avec Jean Paul II.

Avril 2005. Alors que la planete pleure Jean Paul II, un jeune monsignore d’origine maltaise, Charles Scicluna, enquete au Mexique sur la toute-puissante Legion du Christ. Fondee en 1941 par le pere Marcial Maciel, elle est la principale source de vocations sacerdotales. Scicluna, responsable de l’instruction des crimes sexuels au sein de la Congregation pour la doctrine de la foi, est mandate par son patron, le cardinal Ratzinger. Il va recolter des informations accablantes.

Les hommes auditionnes par le prelat racontent la meme scene infernale, qui a massacre leur enfance et leur adolescence dans les annees 1940 et 1950. Pretextant etre malade, Maciel s’alitait et faisait appeler un petit seminariste dans sa chambre. Il le forcait a le masturber pour, disait-il, apaiser ses douleurs. Puis il prenait son plaisir sur ses victimes. Le pretre leur faisait jurer de garder le silence, assurant qu’il avait pour cela une permission speciale du pape. Et allait jusqu’a donner l’absolution aux garcons qui se sentaient coupables. On apprendra en 2009 que Maciel, par ailleurs toxicomane, avait eu trois enfants de deux femmes differentes. Il y a quelques jours, le 1er mai, le Vatican declarait que l’homme etait un imposteur : "Les comportements tres graves et immoraux du pere Maciel, confirmes par des temoignages irrefutables, se presentent parfois comme de vrais delits et demontrent une vie sans scrupule ni authentique sentiment religieux." La Legion, infectee jusqu’a l’os, doit etre totalement refondee.

Pourquoi a-t-il fallu tant d’annees pour que l’effroyable verite soit assumee ? Tout commence en 1997, lorsque huit anciens seminaristes se decident a crier leur souffrance dans le Hartford Courant, un quotidien americain. Ils le font apres avoir alerte l’Eglise dans les annees 1970, et constate son silence. En 1998, ils portent le dossier sur le bureau du cardinal Ratzinger, a la Congregation pour la doctrine de la foi.

Pendant six ans, le cardinal Ratzinger ronge son frein. Il aurait recu de ses superieurs des consignes pour ne pas mettre son nez dans les affaires de la Legion. Angelo Sodano, "Premier ministre" de Jean Paul II, etait l’un des "parrains" de Maciel, comme nous le revelions dans notre enquete, en juin 2004. Des legionnaires nous avaient rapporte que le secretaire d’Etat avait pistonne la Legion pour lui permettre d’obtenir les autorisations de construire son immense complexe universitaire a Rome.

Transgressant la loi du silence, le futur Benoit XVI ouvre l’enquete en decembre 2004. Sans doute Ratzinger s’est-il scandalise du faste avec lequel le Saint-Siege a celebre les 60 ans de sacerdoce de Maciel, le 30 novembre 2004, en presence de Jean Paul II… Pour la Legion, c’est le choc. Un mois plus tard, fin janvier 2005, son chapitre general annonce la retraite de Marcial Maciel, officiellement pour raison d’age, car il a 85 ans. Trois mois apres, Jean Paul II est mourant. Lors du chemin de croix du vendredi saint au Colisee, Ratzinger denonce les "souillures" du clerge. Maciel est dans le collimateur. Le 15 avril 2005, trois jours avant le conclave, alors que Scicluna enquete au Mexique et que commence a circuler le nom de Ratzinger comme pape, La Vie rencontre le nouveau patron de la Legion, Alvaro Corcuera. Lequel, interroge sur le pronostic, apparait angoisse en depit d’un sourire de facade.

Pas de chance pour Maciel : c’est Ratzinger qui est elu pape ! L’elucidation de la verite devient ineluctable. Mais rencontre des resistances. Un mois apres l’election de Benoit XVI, en mai 2005, la salle de presse du Vatican annonce qu’aucun proces canonique ne sera engage. La Legion respire… On a donc voulu torpiller l’enquete de Scicluna et de Benoit XVI. Mais ceux-ci ne se laissent pas intimider. En mai 2006, la Congregation pour la doctrine de la foi condamne officiellement Maciel « a une vie reservee de priere et de penitence, en renoncant a tout ministere public ». Enfin, la verite eclate, car le Vatican precise a mots ­couverts qu’il s’agit d’abus sexuels, donnant raison aux accusations parues en 1997 dans la presse.

Remontons 62 ans en arriere. A l’epoque ou l’Eglise a rate l’occasion d’agir. En 1948, des mises en cause visent deja Maciel et conduisent Rome a annuler l’autorisation canonique de la Legion. Mais l’homme parvient a renverser les evenements a son avantage. Les accusations reprennent. En 1956, le prefet de la Congregation des religieux, le cardinal Valerio Valeri prend au serieux de nouvelles plaintes gravissimes d’abus sexuels sur des mineurs, en provenance du Mexique. Sentant la menace, le 15 septembre 1956, Maciel edicte le fameux "v?u de charite" auxquels doivent s’engager illico tous les legionnaires, et qui leur interdit de dire du mal d’un superieur, sous quelque pretexte que ce soit. Six jours plus tard, le cardinal Valeri suspend Maciel de ses fonctions. Deux limiers en viennent a la conclusion que le fondateur doit etre demis. Mais l’enquete est interrompue par la mort de Pie XII, en 1958. Profitant de la vacance du siege apostolique, le cardinal vicaire de Rome, Clemente Micara, un ami de Maciel, retablit celui-ci dans sa charge.

Cet episode funeste sera determinant. Officiellement, Rome a tranche en faveur de l’innocence de Maciel. Pendant les 40 annees qui suivront, des que des accusations feront surface, on considerera qu’il s’agit de calomnies. A chaque fois, la Legion montera au creneau pour defendre Maciel, un saint vivant, selon elle. Meme apres la mise en penitence de son fondateur par Benoit XVI, en 2006, pour abus sexuels. A la mort de Maciel, elle declare que "le cher pere fondateur est parti pour la patrie celeste".

A son deces, le 30 janvier 2008, la decouverte de la verite s’accelere. Surprise, celui que l’on croyait "seulement" pedophile avait plusieurs autres vies, menees sous des pseudonymes. Fin 2008, la Legion du Christ communique en interne sur ce qui sera revele en janvier 2009 par la presse, a savoir : l’existence d’une femme et d’une fille. En aout 2009, on apprend que le pretre avait deux autres enfants avec une autre femme. En decembre 2009, la Legion reconnait qu’un des ouvrages de reference de Maciel, le Psautier de mes jours, est le plagiat d’un livre ecrit en 1941 par un poete espagnol, Luis Lucia Lucia, paru sous le titre Psautier de mes heures. Pour couronner le tout, en mars dernier, deux de ses fils affirmeront avoir ete violes par leur pere.

Dans un texte publie le 25 mars dernier, la Legion fait son mea culpa. "Nous exprimons notre douleur et nos regrets a toutes les personnes qui ont souffert du fait des actions de notre fondateur. (…) Nous voulons demander pardon a toutes les personnes qui l’ont accuse dans le passe, que nous n’avons pas crues et que nous n’avons pas su ecouter, car a cette epoque nous ne pouvions pas imaginer de tels comportements."

Devant le desastre, le pape a decide, l’an dernier, de mener une enquete complete. Confiee a cinq eveques, elle a rendu ses conclusions le 30 avril. Rome reconnait une omerta savamment orchestree. "La plus grande partie des legionnaires etait maintenue dans l’ignorance de cette vie, en particulier grace au systeme de relations construit par le pere Maciel, qui avait su habilement se creer des alibis, gagner la confiance, la confidentialite et le silence de ses proches et renforcer son propre role de fondateur charismatique. En ecartant toutes les personnes qui doutaient de son bon comportement (…), on a cree autour de lui un mecanisme de defense qui l’a rendu inattaquable."

La complicite de l’entourage est donc clairement evoquee. Le 1er mai dernier, le Vatican a ainsi decide de placer sous tutelle la Congregation en nommant un "delegue" et en annoncant un "visiteur" pour les 1?050 consacres du mouvement Regnum Christi. Sur le fond, Rome exige que la Congregation redefinisse son "charisme" et qu’elle prenne ses distances "avec une logique de l’efficacite a n’importe quel prix", allusion evidente a l’opportunisme de certaines methodes de levee de fonds ou de recrutement.

Rome souligne desormais "la necessite de reviser l’exercice de l’autorite", ceci "pour respecter la conscience". Une reference aux abus de pouvoir sur la vie interieure des personnes et a l’hyper­controle (lire les recits des temoins dont les noms ont ete changes). Les legionnaires accepteraient encore que tout leur courrier soit lu, y compris leurs courriels, recus ou envoyes.

Certains observateurs preconisent un changement radical, comme George Weigel, le journaliste americain specialiste de Jean Paul II, jadis mystifie par la Legion, qui suggere de la dissoudre et demande de communiquer a tous les membres la liste des crimes de Maciel afin de purifier la memoire. "La Legion ne pourra jamais se referer a l’intuition originale de son fondateur" reconnait le pere Thomas Brenti. "Je continue a l’appeler Nuestro Padre. Si j’apprenais que mon papa avait fait des choses terribles, je continuerais a l’appeler papa. Il a ete notre pere spirituel, et c’est pour cela que je l’appelle encore Nuestro Padre, meme si c’est un pere spirituel indigne."

L’incroyable imposture de Maciel a infecte le sommet de l’Eglise. Quatre papes, de Pie XII a Jean Paul II se sont laisse berner. Wojtyla et Maciel, nes la meme annee, ont des points communs. Ils sont issus de l’Eglise des catacombes. Maciel grandit dans un Mexique ou la foi etait hors la loi. Jean Paul II apprecia sans doute son cote "resistant" qui conforta le pape dans son reve d’une reconquete spirituelle. D’ailleurs, Maciel le "coacha" lors de son premier voyage, debut 1979, au Mexique. La Legion etait vue comme une reponse a l’emergence des sectes pentecotistes et un rempart face a la theologie de la liberation. Les legionnaires etaient beaux, joyeux, disciplines. Pieux et missionnaires. Exactement ce dont revait Jean Paul II.

Quatre papes n’ont rien trouve a redire sur deux regles perverses, qu’on ne rencontre dans aucun autre ordre religieux, et que Benoit XVI a abolies en 2006. La premiere instaurait la confusion entre la direction spirituelle et la hierarchie. Les legionnaires devaient se confesser a leur superieur, au mepris d’une regle multiseculaire de l’Eglise. La seconde etait le "v?u de charite", qui interdisait de dire du mal d’un collegue ou d’un superieur. Elle a permis que Maciel s’entoure d’un manteau de silence.

Pire, l’enquete de Jason Berry – le journaliste qui a devoile les crimes de Maciel des 1997 – a revele un systeme de corruption a grande echelle. A Rome, la Legion aurait obtenu des faveurs, soit contre des enveloppes de billets glissees aux responsables de la Curie, soit contre des avantages en nature. En 1991, Angelo Sodano aurait vu la fete de sa nomination comme cardinal organisee par la Legion. Le secretaire particulier de Jean Paul II, Stanislas Dziwisz, aurait eu droit a la meme faveur quand il a ete eleve a l’episcopat en 1998. En revanche, en 1997, Ratzinger aurait, d’un sourire glacial, repousse l’enveloppe qu’on lui tendait apres une conference.

La Legion s’est rendue indispensable a l’Eglise. Elle a cree l’agence Zenit, organe de reference pour certains internautes catholiques. En 1991, elle a construit a Rome le seminaire Maria Mater Ecclesiae qui forme gratuitement des jeunes venus de pays pauvres. Elle s’est fait deleguer l’organisation logistique de la rencontre qui reunit chaque annee a Rome les nouveaux promus a l’episcopat. Pleine de sollicitude, la Legion n’a pas son pareil pour mettre un sherpa legionnaire a la disposition d’un eveque etranger quand il arrive dans la Ville eternelle… Un lobbying tres professionnel.

L’affaire jette un trouble sur le pontificat de Jean Paul II. Ce n’est pas un hasard si le Vatican a decide de ralentir la course a la beatification. Derriere cette precipitation se trouvait l’archeveque de Cracovie, Stanislas Dziwisz. On constate aussi que le doyen du college cardinalice (celui qui preside le conclave en cas de vacance du pouvoir) n’est autre qu’Angelo Sodano, ex-zelateur de Maciel. On comprend mieux ainsi l’affirmation du pere Thomas Brenti : "Il nous faudra peut-etre 25 ans pour nous en remettre."

 
 

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